“Pour son action qui a permis de restaurer la dignité de milliers de femmes victimes de violences sexuelles, à travers des soins médicaux et un soutien social, pour son dévouement et sa contribution à la mise en place d’un système de soins de santé intégré dans l’Est du Congo, et pour son engagement profond en faveur de son pays natal, plaidant sans relâche pour un retour à la paix dans une région où la terreur et la peur détruisent jusqu’à l’essence de la société.”
Le Dr. Denis Mukwege est directeur de l’hôpital de Panzi, établi en 1999 à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Dans cette région déchirée par la guerre, l’on estime à 5 millions le nombre de personnes ayant perdu la vie au cours des 16 dernières années. Des centaines de milliers de femmes ont également été violées ou brutalement mutilées. Le viol, la torture et les mutilations y sont monnaie courante, dans un contexte où des forces rebelles tentent d’installer la terreur et la peur afin de s’emparer de zones riches en ressources minières.
L’hôpital de Panzi est spécialisé en obstétrique, en pédiatrie, en médecine interne, en nutrition et en chirurgie générale et spécialisée. 34 médecins y travaillent, dont 12 chirurgiens, pour une équipe totale de 260 personnes.
Alors que son objectif premier était de mettre une médecine dénudée de but lucratif à la disposition de la population de Bukavu, il devient très rapidement un centre de référence pour les victimes de violences sexuelles. A l’hôpital de Panzi, le Dr. Mukwege et son équipe aident ces femmes à retrouver l’envie de vivre. L’établissement prend en charge les patientes d’une manière complète. Le traitement des blessures physiques et émotionnelles s’accompagne d’un travail de réinsertion socio-économique, pour lutter contre l’exclusion dont peuvent souffrir les victimes après les violences. Cette approche aide ces femmes à se reconstruire physiquement et moralement, à reprendre leur vie en main et à récupérer ainsi une certaine dignité. Les soins y sont gratuits pour les patients en situation précaire, y compris pour toutes les victimes de violences sexuelles.
En dix ans, le Dr. Mukwege et son équipe ont traité plus de 27.000 femmes souffrant de troubles gynécologiques, pour la plupart des cas graves de traumatismes reproductifs, souvent dus à des violences sexuelles.
Denis Mukwege est né le 1er mars 1955 dans la province du Sud-Kivu, à l’extrême Est de la RDC. Il est le troisième d’une famille de neuf enfants et son père était pasteur pentecôtiste. Cet environnement familial n’est pas étranger à sa vocation : il a souvent accompagné son père dans ses tournées pastorales et s’il a choisi de devenir médecin, raconte-t-il, c’est pour pouvoir vaincre les maladies pour la guérison desquelles son père priait.
Après son baccalauréat, Denis Mukwege entreprend des études de médecine au Burundi. Il travaille ensuite dans un hôpital rural de sa région. Après avoir constaté les complications subies après l’accouchement par de très nombreuses femmes congolaises qui n’avaient pas accès à des soins adaptés, il décide d’étudier la gynécologie et l’obstétrique, et part se spécialiser à Angers en France.
A son retour en 1989, il installe un service de gynécologie à l’hôpital de Lemera, dans sa région d’origine. Cet établissement connaitra un rayonnement important dans la région et au-delà des frontières du pays. Il fut cependant détruit en 1996, lors de la première guerre 2010-2011 civile (1996-1997) qui dévasta l’Est de la RDC. Le Dr. Mukwege dut fuir et devint lui-même un déplacé. Il ira s’installer à Bukavu, où il constatera à nouveau la souffrance des femmes n’ayant pas accès à une structure sanitaire pouvant venir en aide lors des accouchements. De là naîtra l’idée de construire une maternité avec bloc opératoire à Panzi, dans la banlieue Sud de Bukavu. L’hôpital de Panzi verra le jour en 1999. Très vite, le Dr. Mukwege y traitera des femmes victimes de violences sexuelles, et en fera une référence en la matière dans la région des Grands Lacs.
Selon plusieurs sources médicales internationales, le Dr. Mukwege est sans doute l’expert mondial le plus expérimenté dans la réparation des dommages pathologiques et psycho-sociaux causés par les viols collectifs et les violences sexuelles. Il travaille souvent 18 heures d’affilée et réalise plusieurs opérations par jour, dont certaines sont des interventions lourdes. Quand il décrit ces victimes, son récit fait froid dans le dos : elles sont parfois nues, présentent des plaies ouvertes, elles souffrent de fistules, perdent du sang et de l’urine par leur vagin déchiré. Certaines ont été violées à l’aide de baïonnettes, de tessons, voire de canons de fusils.
Le travail pionnier, inlassable et dévoué du Dr. Mukwege répond à des besoins tragiquement immenses et renouvelés. Depuis 2009, le contexte politico-militaire s’est à nouveau détérioré dans l’Est de la RDC, avec l’intensification des opérations des forces gouvernementales contre les divers groupes rebelles. Les violences sexuelles y sont utilisées comme des armes de guerre. Les viols et agressions sexuelles sont commis de manière systématique et stratégique et sont parfois accompagnés ou suivis d’humiliation, de blessures, d’actes de torture ou de meurtres.
Ce contexte n’empêche pas le Dr. Mukwege de chercher à agir sur un plus long terme. En partenariat avec des structures locales, il développe ainsi des campagnes de sensibilisation dans la région et il veille au renforcement des capacités d’un maximum de personnes confrontées aux victimes. Il a créé une section de formation destinée à des infirmiers, des accoucheuses et des médecins, pour leur permettre d’améliorer localement, en premier ligne, le traitement qu’ils apportent aux victimes, dans six zones de santé de la région. Dans ce projet, il collabore avec le Fistula Hospital d’Addis Abeba en Ethiopie.
On le voit : l’action du Dr. Mukwege dépasse la prise en charge hospitalière. Il entend mettre en place, dans l’Est de la RDC, un système de soins de santé intégré qui réponde aux terribles défis de la violence et du chaos. En parallèle, il milite inlassablement en faveur des femmes de sa région, dénonce les violences inouïes qui leur sont faites, dès qu’une tribune internationale lui est ouverte. Ce qu’il n’a manqué de faire en 2008, année où il reçut le Prix Olof Palme et le Prix des Droits de l’Homme des Nations unies, et où il a été désigné « Africain de l’année » par le journal nigérian « Daily Trust ». A cette occasion d’ailleurs, l’ancien Premier ministre tanzanien et ancien secrétaire-général de l’OUA Salim Ahmed Salim souligna que l’action du Dr. Mukwege n’est pas sans risques pour sa propre vie.
Les actions remarquables du Dr. Mukwege n’ont hélas rien perdu de leur actualité et de leur pertinence aujourd’hui. Toujours confronté à l’horreur, il continue son engagement en faveur des plus faibles, plein de courage, de dévouement et de détermination. Il est incontestablement un symbole de résistance et d’espoir, un militant de la paix et du développement.
Lire le communiqué de presse Dr Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018
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